Présentation de l’éditeur : « Dans les temps qui avaient précédé notre rencontre, je m’étais représenté Sandrine Broussard d’une manière très subjective, sur la base de ce qu’on me racontait. À vrai dire, peu m’importait de savoir si j’étais près de la vérité ou non. Je faisais évoluer la jeune femme sur une orbite éloignée de Bonnie Parker, où elle gravitait comme un astre de faible brillance, et je l’imaginais de taille moyenne, blonde, mignonne, pareille à Faye Dunaway dans le film. Sandrine était la portion incongrue de mon univers, différente de tout, rétive aux classements. » Lorsque le narrateur croise enfin Sandrine Broussard il est happé par ce personnage magnétique, son exact contraire. La jeune femme va lui raconter ses vies multiples et tumultueuses, faites d’arnaques et de clandestinité. Mais au plus profond d’elle-même, elle aspire à ne plus être une « passagère clandestine » et à retrouver une place dans ce monde. Pour « tenter de vivre », il faut abandonner plusieurs « moi » derrière soi. Le peut-on ? Et quel est le prix à payer pour sortir du tunnel ?
Éditions Stock – 176 pages
En librairie depuis ce jour, le 19 août 2015.
Ma note : 3 / 5
Broché : 17 euros
Ebook : 11,99 euros
Il faut tenter de vivre, nouveau roman du prolifique Éric Faye, lauréat du Grand Prix du roman de l’Académie française 2010 pour Nagasaki, est le roman demi-teinte de la rentrée littéraire 2015.
L’impulsion de cette biographie romancée est la fascination de l’auteur pour une femme qui est pour lui son exact contraire ou plus exactement sa propre personnalité fantasmée qu’il aimerait s’autoriser à être parfois. Mais plus on découvre son héroïne, plus on s’interroge sur ce qui peut bien le magnétiser chez cette fille paumée.
L’idée de départ de dresser le portrait d’une femme en marge est intéressante. Cela étant, force est de constater au fil de la lecture que la vie de cette Sandrine Broussard, vendue comme romanesque, manque cruellement de relief, d’excitation. Elle a certes joué les arnaqueuses puis les filles de l’air pour éviter la case prison, malgré tout, son existence semble plate. De deux choses l’une : soit la narration est un miroir fêlé, soit l’attraction singulière singulièrement exprimée de l’auteur pour cette muse qui n’en a en rien les contours semble traduire une vie encore plus morne que celle qui l’inspire…
Passé le regret d’une plongée manquée dans une destinée hors normes moins palpitante qu’ennuyeuse et surtout triste, l’on découvre néanmoins une délicate réflexion sur la quête de soi.
Dans ce qui semble être son style sans emphase et un peu étrange, Éric Faye, sous couvert d’explorer le parcours d’une femme hors du temps qui se cherche, semble brosser sa propre quête. Sorte de roman courtois inversé des temps modernes, Il faut tenter de vivre dessine le parcours initiatique du soi et rappelle avec justesse que l’on peut changer d’identité et/ou de lieux autant de fois que possible, l’on ne se fuit jamais soi-même, ni ses problèmes. Il faut trouver sa personnalité profonde, tenter de composer avec, s’accepter avec ses failles, ses blessures, son héritage… et, plus qu’exister, vivre, tout simplement, pendant qu’il en est encore temps !
À l’arrivée, ce roman n’est ni assez mauvais pour qu’on l’abandonne en chemin – encore que certains ne s’en priveront pas -, ni suffisamment bon pour qu’il laisse un souvenir impérissable. Un roman bof en somme. Bof qui suscite quand même quelques intéressantes interrogations mais qui a un trop regrettable manque de pep’s pour qu’on ne lui préfère pas d’autres livres parmi la pléthore de cette rentrée.
Pour la culture générale : le titre de ce roman est emprunté à un vers du poème Le Cimetière marin de Paul Valéry paru en 1920 ; poème évoqué par Georges Brassens dans sa chanson Supplique pour être enterré à la plage de Sète (1966) et vers à l’origine du titre du roman Le vent se lève de Tatsuo Hori (1936) lui-même adapté en film d’animation par Hayao Miyazaki (2013).
Vous aimerez sûrement :
Les Indomptées de Nathalie Bauer, Les Déferlantes de Claudie Gallay, La Silencieuse d’Ariane Schréder, Le premier été d’Anne Percin, Les perles de la Moïka d’Annie Degroote, Sashenka de Simon Montefiore, Les quatre Grâces de Patricia Gaffney, La poursuite du bonheur de Douglas Kennedy, Le cercle des femmes de Sophie Brocas…
Extraits :
J’avais quelque chose comme vingt-six ou vingt-sept ans et Sandrine à peine plus. Nous étions immensément jeunes, et pourtant à l’âge où les angoisses sont sans doute le plus aiguës. Pour ma part, j’essayais d’écrire – quelques nouvelles, en guise d’épures de romans que je rejetais dans une période future d’hypothétique « maturité ».
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Je me dis parfois que la vie n’est pas une affaire de clarté, mais plutôt de ténèbres.
Que distingue-t-on véritablement au-delà des premiers mètres ? Quand j’observe la route nationale dans le lointain, la nuit, je crois tenir un début d’explication. Pour la plupart, nous progressons en codes, quand d’autres, moins nombreux, s’éclairent de phares puissants. D’où vient que, autour de certains, les ténèbres ne se dispersent que sur le tard ? D’erreur en erreur, nous errons.
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Et quand votre vie a déraillé très tôt, vous n’agissez ni ne réagissez comme vous le souhaiteriez.
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Moi aussi, j’avais dû me trouver en rupture avec le monde, longtemps auparavant. Mon train avait déraillé sans que je m’en rende compte – au ralenti. À la réflexion, je me dis que j’ai dû entrer en dépression très tôt dans l’enfance. Je ne pourrais citer aucun fait déterminant qui m’ait plongé dans cet état : le glissement a été imperceptible.
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Derrière les barreaux, on a tout le temps de s’arrêter sur les détails de son passé et de les éclairer différemment selon les heures ou l’humeur. La prison devient le ventre mou de l’existence, à l’intérieur duquel tout est ruminé, comme si chaque souvenir pouvait receler la clé de votre formidable échec, ou comme si découvrir cette clé allait vous valoir quelque circonstance atténuante et une remise de peine.
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Nos démons sont des agents dormants, jamais loin de nous : ils louent le studio d’en face.
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« Le bonheur n’est pas chose aisée, il est très difficile de le trouver en nous, il est impossible de le trouver ailleurs. » (Alain Chamfort)
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Pourquoi notre esprit produit-il des clichés si éloignés du réel ?
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Car le temps est bien, à ce jour, le seul dieu dont nous ayons prouvé l’existence. Il nous anime, pareils à des automates, il nous enchante et nous apaise. Il nous laisse croître pour nous amenuiser et nous escamoter ensuite. En somme, il fait de nous ses jouets (…).
Un grand merci aux Éditions Stock pour m’avoir l’opportunité de découvrir ce livre en avant-première.