Présentation de l’éditeur : On l’appelle le Palais. C’est une prison dorée des beaux quartiers de Paris. Originaire de Serbie, Dušan vient d’y être recruté comme agent de sécurité. Au service de la Princesse, il passe son temps à attendre, simple figurant d’une farce où se mélangent le protocole et les caprices. Lorsque le Prince débarque sans préavis des États-Unis, Dušan endosse un nouveau rôle. Le « docteur » Élias, âme damnée des lieux, lui confie la mission délicate de pourvoir aux fantasmes du Prince. C’est ainsi qu’il recrute Khadija sur les boulevards extérieurs. Il ne sait pas qu’en la ramenant au Palais, il va signer sa propre perte. Et retrouver le goût de la liberté.
Éditions de La Table Ronde – 140 pages
Depuis le 21 août 2014 en librairie.
Ma note : 4,25 / 5
Broché : 16 euros
Il y a du génie dans L’idiot du palais. Il est difficile de le définir tant ce court premier roman résolument moderne de Bruno Deniel-Laurent est riche. Roman d’apprentissage de la jungle urbaine, il tient de la fable réaliste comme du conte philosophique onirique version cauchemardesque. Une sorte de Mille et une nuits underground.
Ici, les princes côtoient les putes et peuvent satisfaire tous leurs vices grâce au pouvoir de l’argent pour lequel tous acceptent de se compromettre. À commencer par Dušan qui va commencer comme vigile d’une unique porte avant de grimper les échelons comme rabatteur des grands boulevards interlopes de la ville lumière, puisque son boss, en plus d’aimer l’alcool et les jeux de hasard, aime quant à lui surtout grimper sur des inconnues tarifant leurs coïts.
Avec violence et crudité, Bruno Deniel-Laurent met en scène et fait se percuter le monde de la misère souvent sans papier et prêt à toutes les humiliations pour s’en sortir d’une part et le monde de l’opulence, d’autre part, tellement désœuvré et sur-satisfait qu’il cherche le frisson et la nouveauté dans le sordide et l’humiliation de l’autre. Et dans cette pléthore de figures planquées dans un bijou architectural derrière lequel se cache un microcosme ultra hiérarchisé où tout n’est que corruption, soumission et abjection, les hommes deviennent des agents exécutants plus royalistes que le prince et leur capacité de révolte est endormie à coup de pétrodollars. Et si l’idiot du palais n’est pas forcément celui qu’on croit, la prostitution ne se contente pas de battre le pavé…
Constat de l’esclavage moderne et apologie de la liberté, L’idiot du palais est un texte inattendu et subtile qui, bien que loin d’être joyeux, remet les pendules à l’heure des choses simples et belles de la vie… tout en n’oubliant pas d’être cynique jusqu’au bout. Parce que l’homme est un idiot qui n’apprend jamais rien de ses erreurs…
Bruno Deniel-Laurent fait ses premiers pas dans la fiction avec brio. Racé et contemporain, son style est au service d’une analyse fine et clairvoyante de l’homme et des systèmes qu’il bâtit et dans lesquels il s’enferme. Une revue désenchantée maquillée d’humour pour mieux faire avaler la pilule de l’inexorable déchéance de l’âme humaine et du lent sabotage de l’homme par lui-même.
Vous aimerez sûrement :
Peste de Chuck Palahniuk, Rainbow Warriors d’Ayerdhal, Regarde les hommes mourir de Barry Graham, Travaux forcés de Mark SaFranko, Un génie ordinaire de M. Ann Jacoby, Zora, un conte cruel de Philippe Arseneault, Enfants de la paranoïa de Trevor Shane, Enig marcheur de Russel Hoban…
Extraits :
« Le Palais a toujours raison. Raison de vous engloutir, membre après membre, raison d’exiger votre lâcheté, votre soumission, votre méchanceté. Aux uns il demande des attentes inutiles, aux autres des tâches impossibles. »
…
La vie du Palais obéit à sa propre loi. En période « HPP », Hors Présence Princière, les permanents – intendants soudanais, gestionnaires, assistants et vigiles – se promènent avec nonchalance dans les couloirs désertés, délaissent l’uniforme, se reposent des intrigues.Tout se tend lorsque la Princesse prend possession de ses appartements. Pour les centaines de grouillots et de suiveurs rappelés à la hâte commence le temps des nuits sans sommeil, des consignes ineptes, des doubles contraintes.
…
« Belle ? Vous me demandez si la Princesse est belle ? Aimeriez-vous apprendre qu’elle pèse cent trente-huit kilos pour un mètre soixante-seize ? Quarante-cinq point d’indice de masse corporelle, catégorie « obésité morbide », et probablement des taux de cholestérol et de glycémie à l’avenant ? Elle frise les cinquante ans mais on lui en donnerait dix de plus. Dois-je vous parler de sa bouche tortueuse, ses lippes en croissant renversé et leurs commissures creusées par l’amertume ? Cette gorge renflée, ses joues effondrées, ces cheveux avares, zigzagants, gâtés par les teintures ? Vous pensez que j’exagère ? Vous pensez que je n’ai pas le loisir de la scruter durant des heures quand elle vient se poser là dans ses fauteuils en demi-lune, flanquée de ses fausses amies et de ses vraies esclaves ? Elle fume sans retenue, les jambes écartées, se racle la gorge comme un vieux mineur de fond prêt à crever, et d’ailleurs ça se tient, elle a toujours vécu au tréfonds de la plus parfaite misère, c’est ce que ne comprennent pas ceux qui l’envient.
Un grand merci aux Éditions de La Table Ronde pour m’avoir offert l’opportunité de découvrir ce livre en avant-première.
A reblogué ceci sur jean-louis.riguet-librebonimenteuret a ajouté:
Un conte philosophique onirique !
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» Constat de l’esclavage moderne et apologie de la liberté » c’est tout à fait ça. On sent que tu as aimé ce premier roman, tu en fais une superbe chronique . Belle analyse.
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Merci beaucoup, je suis touchée ! Effectivement, ce fut pour moi une très belle découverte, alors forcément, c’est plus facile, les mots viennent tous seuls :)
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