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tu seras partout chez toiPrésentation de l’éditeur : Si tu dois t’en aller pour toujours, pars le matin, très tôt, comme Hansel et Gretel. Avant de m’abandonner, papa m’a dit « Tu seras partout chez toi ! » Mais, à 9 ans, on n’est pas costaud, même quand on se croit dur comme fer. À 9 ans, le pays que l’on chérit a le visage de « mon amoureuse ». Je le sais parce que j’ai 9 ans, et Yulia… Dieu que je l’aime ! Yulia, je la connais depuis le jour où on a coupé le cordon à mon nombril pour l’ancrer au sien. Donc, mon oiseau de fer a atterri de l’autre côté de la Terre, chez tata Belladone et tonton Chu-Jung. Mais « mon chez moi » je le retrouverai, quitte à faire les pires bêtises pour y aller ! Qu’importent les gorgones et les récifs, grâce à Brindille, la fille du voisin – le passeur du Styx –, je partirai…

Éditions Sarbacane – 213 pages

Depuis le 7 novembre 2012 en librairie.

Archive du blog Gwordia

Ma note : 4 / 5

Broché : 15,50 euros

Je ne savais a priori absolument pas à quoi m’attendre en me plongeant dans Tu seras partout chez toi. Une chose est sûre a posteriori, ma wish-list est un peu plus longue. Une fois encore. De manière aussi jubilatoire que désespérante, ma pile d’envies bouquins est définitivement le tonneau des Danaïdes…

Bref, tout ça pour dire que j’ai carrément été séduite par ce récit d’Insa Sané. Il m’a convaincue de me plonger dans sa comédie urbaine qui a érigé ce slameur-rappeur-comédien-écrivain sénégalo-sarcellois au rang d’auteur majeur de sa génération.

Insa Sané est de ceux qui possèdent une plume bien à eux. D’une écriture singulière ô combien chantante, il nous conte, par la voix d’un enfant au fond de laquelle l’on entend immanquablement celle du griot, l’enfance africaine, le déracinement, l’exil et l’intégration dans cette vaste arnaque qu’est le soit-disant Eldorado occidental. Un sujet maintes fois abordé que l’écrivain revisite de manière inédite et très personnelle grâce à une écriture mêlant savamment réalisme et onirisme.

Avec verve, il construit une fable touchante qui est la parfaite synthèse de la modernité urbaine et de l’ancestralité africaine. Il nous entraîne ainsi avec beaucoup d’émotions et de justesse dans la nostalgie de l’enfance et le caractère fantastique ne fait qu’ajouter à la puissance du récit. L’on se plaît à reconnaître ici ou là des allusions aux légendes et histoires classiques, inspirées de ses deux cultures pour ériger sa propre légende, marquer son empreinte et faire cet indispensable lien entre tradition d’hier et codes d’aujourd’hui. Impossible de lire Tu seras partout chez toi sans voir dans le petit Sény le pendant masculin africain la petite Alice britannique.

Dans cette histoire, Insa Sané aborde les diverses tragédies humaines engendrées par l’exil et les migrations clandestines. Des propos durs dont la gravité, aussi présente soit-elle, ne prend jamais le pas sur la poésie ou les pointes d’humour savamment distillées. Une manière d’appréhender des réalités bouleversantes avec pudeur, sans misérabilisme. Et si le lecteur adulte auquel s’adresse aussi cette narration saura voir par avance où le Sény de Sané l’entraîne parfois, gageons que les lecteurs plus inexpérimentés n’y verront que du feu et serons aussi étonnés que transportés mais surtout, utilement ébranlés et humainement transformés.

Un texte profond, humain, qui compte parmi ceux qui aident à grandir. Même quand on est déjà grand.

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No et moi de Delphine de Vigan, La vraie couleur de la vanille de Sophie Chérer, Lunerr de Frédéric Faragorn, Chaque soir à 11 heures et Quatre soeurs de Malika Ferdjoukh, Seuls de Gazzotti et Vehlmann, Hier tu comprendras de Rebecca Stead, Les Arpents d’Alan Wildsmith…

Extraits :

Elle voulait parler. Parler ?! J’avais entendu dire par les plus grandes personnes que les filles adorent « parler » ; surtout quand nous, les garçons, on n’y est pas disposés : avant un baiser ; après ; quand on tombe de sommeil ; au petit matin ; quand c’est surtout pas le moment…

– Tu as quel âge ?!

Elle connaissait parfaitement la réponse. Je crois que quand les grandes personnes posent des questions aussi simples, c’est pour faire diversion, parce qu’ils n’ont plus la force de regarder l’enfance en face.

– A neuf ans, on ne pleure pas comme un bébé ! Maintenant, tu vas sécher tes larmes et tu vas être courageux. Tu veux que je sois fière de toi ? Alors arrête ! Tout de suite !…

Ben oui ! Bien sûr, je voulais que Maman soit fière de moi, tous les jours, tout le temps ; mais pas loin d’elle. Je ne pouvais pas imaginer ne plus la sentir, la voir, la savoir là, à côté de moi ! C’est quoi ces histoires ?! Maman, Papa, c’est une mauvaise blague, franchement ? Hein ?! Vous pouvez me le dire maintenant !…

– Mais Papa, j’ai fait une bêtise ?

Là, il a pris cette voix qu’il avait le soir, lorsqu’il me racontait des histoires avec des animaux fantastiques, des sorciers, des chasseurs et des guerrières. Ces histoires qui finissent bien à la fin.

– Mon grand garçon. Ce n’est pas une punition : c’est une récompense. Tu vas de l’autre côté du monde. Qu’est-ce que j’aimerais être à ta place ! L’Odyssée d’Ulysse ou Les Voyages de Gulliver, ce sont des promenades de santé à côté de ce que tu vas vivre ! Je suis sûr que sur ta route, tu apercevras le titan Atlas portant la voûte céleste sur ses épaules… Oh, la chance ! Tu sais, ce n’est pas facile d’atteindre le pays où tu te rends. Beaucoup de gens ont tenté d’aller là-bas, mais très peu ont réussi. Ton oncle et ta tante sont arrivés à bon port. Et je sais que toi, tu y arriveras aussi. Tu es plus courageux que le soldat de plomb et, bientôt, des ailes te pousseront sur les épaules et tu sauras t’échapper de n’importe quel dédale – tu te souviens de Dédale, hein ?… Oui mon garçon, sans te brûler les ailes. Tu sais, dans le pays où tu vas, les hommes marchent en lévitation. Tu comprends ce que ça veut dire, hein ? Oui, ils marchent au-dessus du sol. Tu veux apprendre à marcher dans les airs ? Là-bas, tu pourras. Mon chéri, si tu ne pars pas, tu risques de finir comme le serpent… le dragon condamné à marcher sur le ventre… tu te souviens, n’est-ce pas ?

De l’autre côté de la Terre, au pays des Hommes Pressés, les gens marchaient. Ils marchaient plus vite que chez moi, mais ils marchaient quand même. Quelle déception ! Papa savait-il donc, lui aussi, dire les mensonges qui se croient durs comme fer ?… ou peut-être que l’avion m’avait largué dans le mauvais aéroport ? Ce que je découvrais n’était pas la cité du soleil, mais un univers qui filait le moral dans les chaussettes.

Des hommes, il y en avait partout. Même le jour de la foire, au village, je n’avais jamais vu autant de monde ! Une foule grouillante de gens solitaires pris dans leurs silences respectifs. Des hommes grands, petits, moyens, gros, maigres, moyens, beaux, moches, moyens…

Je crois que quand les grandes personnes répondent par un « Parce que » à des questions aussi simples, c’est encore pour faire diversion. Parce que vraiment ça doit être dur, de regarder l’enfance en face.

Et voilà comment j’ai appris qu’au Pays des Hommes Pressés, on a le droit de décliner les présents. Le savoir doit vivre différemment selon l’endroit où l’on se trouve, pas vrai ?

Une fille blessée, même un tout petit brin de fleur, ne pleure pas à la face du monde ; (…).

Chez moi, c’est vrai, on dit qu’il y a bien plus de choix qui sont dictés par le désespoir que de voies ouvertes aux résignés.

Brindille s’était effondrée. Elle reposait, les bras las, autour de ses cuisses à demi enfoncées dans la boue. Elle ne tentait même plus de dissimuler sa frouillardise, et comme elle n’avait plus mon bras en guise de doudou, elle s’est mise à pleurer. Parfois, rarement, les filles, surtout les petits brins de fleurs, osent pleurer à la face du monde. A vrai dire, moi aussi, j’aurais bien aimé pleurer des rivières, mais je n’avais pas su trouver le sentier des chagrins, ce ruisseau qui en se jetant dans le fleuve de nos peines éponge en quelques tourbillons le torrent des larmes ; alors, j’ai fait l’homme. Chacun agit avec ses armes, pas vrai ?

On n’aura jamais à se dire adieu. TOI ? Ne te retourne pas. JAMAIS ! Va de l’avant. TOUJOURS ! Tant pis pour les larmes. Tant pis pour nous. Tant pis pour les espoirs fous d’un « Il était une fois » qui nous aura laissés sur le bas-côté. Tu m’aimeras plus loin. Je t’aimerai ailleurs. Ensemble, on tournera la page du plus beau des romans – sans tristesse ni rancoeur. Demain sera heureux. Promis ! Juré ! Juré ! Craché ! En vérité, l’éternité est aussi éphémère qu’un « Je t’aime » suspendu entre la vie et la mort.

Une fille effrayée, même un tout petit brin de fleur, s’effondre pas aux yeux du monde. Jamais. Le courage c’est ça, je crois bien – quand on a peur mais qu’on avance quand même ; sinon, c’est qu’on est fou, point.

Une fille blessée, même un tout petit brin de fleur, ne pleure pas à la face du monde, même quand ce visage impitoyable est celui de sa rivale.

Un grand merci aux Éditions Sarbacane et à Babelio pour m’avoir offert la possibilité de découvrir ce livre.

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2 réflexions sur “Tu seras partout chez toi d’Insa Sané

  1. Pingback: Les douze tribus d’Hattie d’Ayana Mathis | Adepte du livre

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